L'évaluation économique des maladies chroniques
Pierre LÉVY, LEGOS, Université Paris-Dauphine
résuméL'évaluation économique est pertinente pour appréhender les stratégies thérapeutiques des maladies chroniques. Celles-ci posent néanmoins des difficultés d'application qui peuvent exister dans les maladies aiguës mais sont cumulées dans les maladies chroniques (horizon de long terme, prise en compte de la qualité de vie, intégration des coûts non médicaux) comme l'illustrent plusieurs exemples. INTRODUCTION
L'économiste peut prétendre apporter une contribution originale à l'évaluation
des actions entreprises dans le domaine de la santé par l'introduction de la problématique de la rationalité économique dans le processus de prise de décision. La théorie économique se veut en effet une théorie des choix mettant en relation les résultats d'actions alternatives avec les moyens qu'elles nécessitent respectivement. L'objectif recherché est alors celui de l'efficience, c'est-à-dire du meilleur rapport entre le coût des ressources mobilisées et les résultats obtenus. Appliquée au domaine de la santé, l'approche économique se distingue à la fois d'une approche médicale de l'évaluation, telle l'evidence-based medicine, qui privilégie le critère unique de l'efficacité, et d'une approche comptable ou financière qui met l'accent sur les débours engendrés par les actions sanitaires.
La mise en œuvre de cette problématique de l'efficience passe par le
développement et l'adaptation des outils du calcul économique et prend généralement la forme d'une analyse coût-efficacité (ACE), coût-utilité (ACU) ou coût-bénéfice (ACB) qui constituent les instruments fondamentaux de la boîte à outils de l'évaluation économique des stratégies de santé. Cette approche économique de la prise de décision en santé est dorénavant couramment employée pour éclairer les choix à faire en matière d'allocation des ressources, et fait l'objet de recommandations de bonnes pratiques en France comme ailleurs (LÉVY, DE POUVOURVILLE 2003).
Il est donc tout à fait légitime a priori de mobiliser l'évaluation économique
pour appréhender les stratégies thérapeutiques impliquées par le vieillissement de la population, auquel est associé une augmentation du recours aux soins. On sait en effet que le nombre de motifs de recours pour 100 séances de consultations en médecine ambulatoire augmente avec l'âge, s'établissant en France à 219 pour les hommes et 230 pour les femmes de 65 ans et plus, contre respectivement 154 et 158 entre 25 et 64 ans. De même, le taux d'hospitalisation augmente rapidement après 65 ans, passant de 324 pour 1000 adultes de 55-64 ans, à 437 chez les 65-74 ans, 577 pour les 75-84 ans, et 616 après 84 ans (DREES 2004). L'identification
des stratégies thérapeutiques efficientes pour les pathologies liées à l'âge s'avère donc un enjeu majeur pour l'amélioration du système de soins.
Encore faut-il préciser que le phénomène du vieillissement recouvre plusieurs
tendances à l'œuvre dans les pays développés (COLVEZ 2005) :
D'une part, une évolution démographique marquée par la déformation de la structure par âge de la population. Il s'agit là d'un phénomène mondial puisque le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait augmenter de 875 millions entre 1970 et 2025, soit de 281%. A cette date, on devrait compter 1,2 milliard de personnes de plus de 60 ans, dont 840 millions dans les pays en développement (OMS 2002). C'est cette dimension démographique du vieillissement qui est pertinente lorsqu'on envisage le problème du financement des retraites. D'autre part, une évolution épidémiologique qui se traduit par une montée en puissance des états chroniques handicapants, supplantant progressivement le régime antérieur caractérisé par une prédominance des maladies aiguës. Des études déjà anciennes ont montré que le nombre de maladies par personne de plus de 65 ans s'est accru dans les dernières décennies (LAUNOIS, PELC 1988),atteignant à l'heure actuelle en France une moyenne de sept affections si l'on inclut les problèmes dentaires et les troubles de la vue, selon les résultats de l'enquête SPS 2002 (DREES 2004). Parmi les affections déclarées, on trouve des pathologies dont la chronicité peut être naturelle (troubles mentaux, affections neurologiques) ou induites par les progrès de la médecine qui ont chronicisé certaines maladies auparavant mortelles en en ralentissant les complications mais sans les éradiquer (cancers, affections cardiovasculaires, ostéo-articulaires, troubles endocriniens ou du métabolisme). A cela s'ajoute le fait qu'en dehors du vieillissement, de nouvelles sources de production de maladies chroniques apparaissent avec l'évolution des modes de vie (dorsalgies, obésité, dépression, anxiété) et la détérioration de l'environnement (asthme). On peut ajouter que ce phénomène n'est pas restreint à l'hexagone et, comme le rappelle l'OMS, touche l'ensemble de la planète : "Dans les pays développés comme dans les pays en développement, les maladies non transmissibles chroniques sont les principales causes de mortalité, de morbidité et d'incapacité chez les personnes âgées" (OMS 2002).
Cette distinction entre évolution démographique et évolution épidémiologique
est pertinente pour appréhender les apports de l'évaluation économique à l'analyse des stratégies thérapeutiques liées au vieillissement. En effet, cette approche n'a pas les mêmes difficultés avec l'une et l'autre de ces deux évolutions. Je développerai ici le point de vue selon lequel l'évolution démographique associée au vieillissement ne pose aucun problème particulier à l'évaluation économique qui peut être utilisée de façon tout à fait standard pour estimer l'efficience de stratégies sanitaires concernant une tranche d'âge particulière de la population. Par contre, je soutiendrai que l'évolution épidémiologique associée au vieillissement s'avère une
source potentielle de difficultés pour mener à bien une évaluation économique, dont le développement est ainsi limité.
On peut en effet assez facilement montrer, me semble-t-il, que l'âge des patients
n'introduit pas en lui-même de difficultés à la mise en œuvre d'une évaluation économique pour autant qu'elle porte sur une maladie aiguë, l'exemple de la grippe en étant une parfaite illustration. Ceci tient au fait que schématiquement, l'issue d'une maladie aiguë, la guérison ou le décès, intervient dans un laps de temps relativement court. Dans le cas de la grippe, il est assez aisé d'évaluer l'efficience d'une stratégie préventive en rapportant les coûts qu'elle engendre aux décès évités ou aux années de vie gagnées pour avoir un ratio coût-efficacité tout à fait parlant. Par contre, dans les maladies chroniques, les états de santé perdurent et sont stabilisés ou d'évolution lente. Or ceci pose, à mon avis, un double problème du point de vue de l'évaluation économique :
en premier lieu, la chronicité des pathologies nous oblige à inscrire
l'évaluation dans le temps long en considérant des atteintes permanentes de l'état de santé, et non plus seulement des dégradations temporaires, comme ce peut être le cas pour les maladies aiguës dont l'évolution est rapide;
en second lieu, ces maladies chroniques sont handicapantes, avec pour
conséquences un retentissement sur la vie quotidienne des patients dont la qualité de vie est durablement dégradée, et la mise en œuvre de mécanismes de compensation du handicap qui mobilisent des ressources qui ne sont pas exclusivement dans le secteur sanitaire.
Je commencerai par rappeler les caractéristiques principales des méthodes de
l'évaluation économique en santé de façon à préciser les apports potentiels de cette approche pour appréhender l'efficience des stratégies thérapeutiques liées au vieillissement (section 2). Dans un second temps, je mettrai en lumière les aspects les plus problématiques pour la mise en œuvre de cette approche lorsqu'on considère des pathologies chroniques, identifiant ainsi les limites de l'évaluation médico-économique (section 3). Dans un troisième temps, je prendrai appui sur la littérature publiée dans le domaine des pathologies chroniques pour illustrer mon propos et ainsi mieux apprécier les apports et les limites de l'évaluation économique dans le domaine du vieillissement (section 4). LES PRINCIPES DE L'ÉVALUATION MÉDICO- ÉCONOMIQUE
On peut définir l'évaluation économique des programmes de santé comme une
analyse comparative des coûts et des conséquences de stratégies thérapeutiques alternatives (DRUMMOND, O'BRIEN et al. 1998). Cette définition a le mérite d'insister sur les deux caractéristiques indispensables pour qu'on puisse parler d'évaluation économique : l'organisation d'une comparaison entre des stratégies alternatives d'une part, la prise en compte simultanée des coûts et des conséquences des traitements d'autre part. Ce n'est qu'à cette double condition qu'on peut
véritablement parler d'évaluation médico-économique, ce qui rejette en dehors de son champ l'approche dite du "coût de la maladie" qui lui est souvent associée. En effet, ce type d'étude focalise l'attention sur les seuls coûts associés à une maladie ou un facteur de risque sans identification de stratégies thérapeutiques précises ni prise en compte de leurs résultats respectifs. Les études relatives à l'impact du vieillissement sur les dépenses de santé peuvent être rattachées à cette approche. Les études du coût de la maladie sont donc utiles tant pour mesurer le fardeau que fait peser une maladie sur le système de santé que pour déterminer certains items de coût, mais elles se situent logiquement en amont de l'évaluation proprement dite. Nous n'en ferons donc pas mention ici. Les modalités de l'évaluation médico-économique
Classiquement, le schéma de l'évaluation médico-économique se présente
comme une comparaison entre deux stratégies A et B, dont les coûts et les conséquences sont différents. Le champ d'application de cette évaluation est très large puisqu'elle englobe toute action de santé, préventive ou curative, tout type d'intervention, chirurgical ou médical, tous les produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux, mais aussi toutes les stratégies d'information, de dépistage, de traitement ou de prise en charge des malades.
Figure 1. Structure type d'une évaluation médico-économique Δ coûts Δ conséquences
L'évaluation médico-économique se diversifie à raison des modalités de mesure des conséquences des stratégies appréhendées, selon trois types consacrés, étant entendu que l'on exprime généralement les résultats obtenus sous la forme du ratio incrémental, rapportant le différentiel de coûts (Δ coûts) au différentiel de résultats (Δ conséquences).
L'analyse coût-efficacité (ACE) utilise comme mesure de résultats un
indicateur naturel exprimé en unités physiques (fréquence des crises, délai avant progression de la maladie, durée de la survie). Cette approche met donc l'accent exclusif sur une dimension unique de résultat, lié à un paramètre
biologique ou clinique, avec pour avantage celui de la simplicit s'exprimant par exemple sous la forme du coût par année de vie gagnée. L'inconvénient apparaît néanmoins lorsque les stratégies comparées affectent différemment plusieurs dimensions de résultats (par exemple la qualité et la quantité de vie) que l'indicateur unidimensionnel de l'efficacité laisserait dans l'ombre.
L'analyse coût-utilité (ACU) propose une façon de dépasser cette limite
de l'ACE en utilisant un indicateur de résultat composite qui agrège les effets sur la qualité et la quantité de vie. En pondérant la durée passée dans les différents états de santé possibles par les préférences des patients, on peut en particulier mesurer les années de vie passées en bonne santé (ou QALYs pour Quality-Adjusted Life-Years). Les résultats d'une ACU s'expriment alors typiquement à travers le coût par QALY gagné.
L'analyse coût-bénéfice (ACB) constitue une alternative à l'ACU en
recourant à une autre mesure composite des résultats sous la forme d'une valorisation monétaire de ceux-ci. L'ACB constitue l'approche la plus pertinente du point de vue de la théorie économique car elle trouve ses fondements dans l'économie du bien-être et le critère de compensation de Hicks-Kaldor. Elle est cependant délicate à mettre en œuvre car la traduction monétaire de tous les bénéfices d'un traitement, qu'ils soient financiers ou non, ne va pas sans poser de problème, même si l'on peut théoriquement utiliser la méthode de la disposition à payer. La prise en compte des coûts des stratégies alternatives
Au-delà de la diversité des modalités de mesure des résultats, les différents
types d'évaluation économique ont en commun une même méthode de prise en compte des coûts des stratégies concernées. Le principe fondamental qui préside à l'identification de ces coûts est celui du coût d'opportunité, non celui du débours effectif, ce qui conduit à l'inclusion de nombreux éléments. Il est ainsi usuel de distinguer trois types de coûts selon leur nature, appréhendée à partir de deux critères : leur lien direct ou indirect avec le traitement d'une part, le secteur dans lequel se situe les ressources consommées d'autre part.
Les coûts directs médicaux sont relatifs aux biens et services de santé
utilisés dans le secteur sanitaire qu'ils soient hospitaliers ou ambulatoires.
Les coûts directs non médicaux sont ceux imputables au traitement
mais qui concernent des ressources non sanitaires (transport, aménagement de logement, aide domestique, services sociaux).
1 Lorsque les stratégies se révèlent avoir la même efficacité, l'ACE se réduit alors à une analyse de minimisation de coût (AMC) qui en est un cas particulier : à efficacité égale, on cherche à identifier la stratégie la moins coûteuse.
Les coûts indirects correspondent aux ressources non médicales
consommées mais qui n'ont pas de rapport direct au traitement. Il s'agit essentiellement du temps perdu du fait de la maladie elle-même, celui-ci pouvant recouvrir le temps de travail marchand mais aussi le temps de travail domestique, voire le temps de loisir. Il s'agit donc normalement du temps perdu des malades eux-mêmes, mais aussi du temps passé par la famille et l'entourage à la prise en charge des malades.
Il est bien évident que pour mener à bien une étude d'évaluation, il est
nécessaire de préciser un certain nombre de paramètres, à savoir le périmètre des coûts retenus, qui doit être circonscrit aux seuls éléments faisant apparaître des différences entre les stratégies, la perspective adoptée pour en prendre la mesure (l'assurance maladie ou la société par exemple), et l'horizon temporel dans lequel s'inscrit l'évaluation. La pertinence de cette boîte à outils
De ce qui précède, on peut déduire les apports potentiels de l'évaluation médico-
économique pour apprécier l'efficience des stratégies thérapeutiques liées au vieillissement. On se contentera ici de souligner quatre traits majeurs de cette pertinence.
Par l'ampleur de son champ d'application, l'évaluation économique peut être
mobilisée pour effectuer des comparaisons très variées de stratégies alternatives. Il peut s'agir de techniques différentes de dépistage de l'ostéoporose, de traitements anti-hypertenseurs substituables, ou de la comparaison entre un traitement chirurgical (pontage coronarien) et un traitement médical (coronarographie et pose de stent) de l'insuffisance coronarienne. De façon similaire, on peut confronter une approche médicale et une approche chirurgicale de certaines formes d'épilepsie. On peut enfin envisager des modalités différentes de prise en charge de patients atteints de la maladie d'Alzheimer (en institution ou en centre de jour). Ces exemples suffisent à montrer que l'évaluation médico-économique se présente comme directement utilisable pour considérer toutes sortes de programmes de santé liés au vieillissement.
Par la diversification des types d'évaluation, on dispose d'une boîte à outils qui
permet normalement d'appréhender des stratégies dont les effets peuvent être plus ou moins complexes. Ainsi, si l'on veut comparer deux techniques de dépistage de l'ostéoporose, par ostéodensitométrie axiale ou périphérique, on peut se contenter d'une mesure simple de résultat à travers le nombre de patients détectés positifs comme indicateur d'efficacité. De même, si l'on veut comparer deux traitements médicamenteux de l'insuffisance cardiaque, par tri-thérapie usuelle ou ajout d'un bêtabloquant, une approche coût-efficacité permet tout à fait de prendre en compte à la fois le différentiel de coût entre les deux stratégies (lié au coût des produits mais aussi à celui des hospitalisations plus ou moins longues et nombreuses) et le différentiel d'efficacité (correspondant aux décès évités ou aux années de vie sauvées par le traitement le plus efficace). Si au contraire plusieurs dimensions de
résultats s'avèrent pertinents, on peut opter pour une approche coût-utilité, voire une approche coût-bénéfice. Ainsi, la comparaison de modalités alternatives de prise en charge de l'insuffisance rénale chronique, par hémodialyse en centre ou dialyse péritonéale continue ambulatoire (DPCA), pourrait être menée par l'estimation du coût par QALY incrémental. Il est alors possible de tenir compte de différences éventuelles sur la survie mais aussi sur la qualité de vie des patients entre les deux types de prise en charge, du fait d'une plus grande autonomie et d'une meilleure réinsertion professionnelle de la DPCA. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, on pourrait imaginer que, en retardant l'aggravation des symptômes, un traitement médicamenteux permettrait de préserver l'autonomie des patients et leur maintien à domicile. A travers une ACU, il serait alors tout à fait possible de tenir compte de cette caractéristique, tant au niveau des coûts, par l'impact sur la nature et le volume des ressources consommées, qu'au niveau des conséquences par l'amélioration de la qualité de vie et de la survie, traduite en termes de QALYs.
Par l'extensibilité du périmètre des coûts à considérer quel que soit le type
d'évaluation, il est possible de tenir compte de l'ensemble des ressources consommées, même s'il ne s'agit pas de biens ou services de santé. Ainsi, dans le cas des maladies chroniques, liées ou non à l'âge, la prise en charge des patients mobilise bien souvent des ressources en dehors du secteur sanitaire. Le recours à des services sociaux ou la mobilisation du temps des aidants informels pouvant tout à fait être intégrés à l'évaluation, il est possible de comparer des stratégies alternatives de prise en charge qui ne feraient pas appel aux mêmes ressources ou selon une intensité différente. De la même façon, l'arrêt ou la réduction d'activité, voire la sous-qualification des patients, peut être pris en compte à travers les coûts indirects associés à chaque stratégie. Ceci montre bien, me semble-t-il, la pertinence de cette évaluation médico-économique qui permet d'appréhender tous à la fois les effets de santé des stratégies thérapeutiques et leurs conséquences économiques.
Par la latitude possible concernant l'horizon temporel de l'évaluation, on peut
appréhender l'efficience de stratégies portant sur un terme plus ou moins long. Il n'est pas rare, par exemple, de développer des estimations s'étalant sur une période allant de la déclaration de la maladie jusqu'au décès du patient. C'est dire qu'il est possible d'évaluer non seulement des stratégies temporaires concernant par exemple un stade de la maladie mais aussi des stratégies plus globales constituées de séquences thérapeutiques combinées entre elles. Dans le cas des accidents vasculaires cérébraux (AVC), on peut ainsi comparer l'efficience d'une prise en charge conventionnelle, dans laquelle les patients passent d'unités de soins aigus à des centres de long séjours, à celle d'une prise en charge par un réseau de soins coordonnés. La possibilité d'inscrire l'évaluation dans le temps long paraît donc particulièrement utile lorsqu'on envisage des stratégies de santé relatives aux maladies chroniques.
Pourtant, au-delà de ces caractéristiques des méthodes de l'évaluation
économique qui les rendent pertinentes pour les pathologies liées au vieillissement,
il faut bien reconnaître que leur mise en œuvre peut s'avérer particulièrement problématique lorsqu'on doit considérer des maladies chroniques. LES DIFFICULTÉS D'APPLICATION AUX MALADIES CHRONIQUES
Si l'évaluation médico-économique dispose potentiellement de méthodes aptes à
appréhender les stratégies thérapeutiques relatives aux maladies chroniques, ce domaine d'application cumule en effet différentes caractéristiques qui sont autant de difficultés à surmonter pour mettre en œuvre une évaluation. Ces problèmes ne sont pas spécifiques aux maladies chroniques et sont bien connus des spécialistes, mais leur conjonction conduit à mettre en lumière les limites pratiques de ce type d'exercice. Sans prétendre être exhaustif, nous passerons en revue ces principaux problèmes en les regroupant autour de trois thèmes. Les problèmes d'une évaluation de long terme
Bien que ce ne soit pas nécessairement le cas, le développement d'une
évaluation médico-économique concernant les maladies chroniques s'inscrit bien souvent dans un cadre temporel long, nécessaire pour considérer les coûts et les résultats pertinents. Il en résulte plusieurs problèmes qui ne trouvent pas de solution simple ou évidente.
En premier lieu, lorsqu'il s'agit d'une évaluation prospective, l'incertitude sur le
futur s'exprime à travers la difficulté à tenir compte d'une évolution possible des techniques médicales et des modalités de prise en charge de la maladie. Ces innovations intercurrentes étant difficilement prévisibles, elles conduisent en général à mener des évaluations sous l'hypothèse d'un environnement constant, ce qui en limite la portée. De même que pour le choix d'investissements productifs, il faudrait pouvoir tenir compte par exemple de la valeur d'option d'une stratégie médicamenteuse, qui préserve les choix thérapeutiques futurs, par rapport à une stratégie chirurgicale irréversible. Il est bien évident qu'un tel problème ne peut apparaître que pour des stratégies de long terme et ne concerne donc pas les maladies aiguës. A ce jour, ce problème spécifique posé par les maladies chronique qui est un problème d'imperfection de l'information, n'a pas reçu de solution.
En second lieu, la mise en œuvre d'une évaluation de long terme pose un
problème d'imperfection de l'information bien plus fondamental. L'évaluation ne devient en effet possible qu'à partir du moment où l'on dispose de suffisamment de renseignements sur le devenir des patients au cours de la période étudiée. L'information nécessaire concerne à la fois l'évolution clinique et l'ensemble des
2 En toute rigueur, il faut dire que d'autres domaines d'intervention peuvent faire apparaître ce problème, par exemple la stérilisation féminine permanente. Effectuée généralement sous forme d'une ligature des trompes cœlioscopique, elle est alors irréversible. On pourrait imaginer le développement de techniques alternatives de stérilisation permanente mais réversible, qualité dont il serait bon de pouvoir tenir compte dans l'évaluation.
ressources consommées, c'est-à-dire les paramètres permettant d'estimer les bénéfices sanitaires des traitements et les coûts encourus. Or, qu'il s'agisse d'une étude prospective ou rétrospective, il est très rare que de telles données soient disponibles car elles supposent une observation de long terme qui serait non seulement coûteuse par le dispositif de recueil de données à mettre en œuvre, mais également difficile à réaliser (patients perdus de vue, apparition de comorbidités).
La solution à ce problème consiste à recourir à une modélisation permettant de
simuler, sur la base d'hypothèses, les données manquantes. Différentes techniques sont couramment utilisées à cette fin, par exemple des arbres de décision ou des modèles de Markov qui permettent d'estimer les conséquences d'une décision thérapeutique en simulant le cheminement des patients sur la base de probabilités de passage d'un état de santé à l'autre au cours d'un certain laps de temps, et sont intégrées aux recommandations en cours (KUNTZ, WEINSTEIN 2001; LÉVY, DE POUVOURVILLE 2003). Cependant, on reconnaît généralement qu'elles peuvent être délicates à mettre en œuvre et qu'elles fragilisent la démonstration en ne permettant que des simulations toujours discutables, d'où la nécessité d'effectuer une analyse de sensibilité en faisant varier la valeurs des paramètres clé pour tester la robustesse des résultats. De plus, dans le cas des maladies chroniques, un autre type de modélisation, de type épidémiologique, peut s'avérer nécessaire pour simuler l'histoire naturelle de la maladie à partir de laquelle les décisions thérapeutiques peuvent être elles-mêmes évaluées. Ainsi, si l'on veut effectuer une évaluation comparative de traitements alternatifs de l'hyperlipidémie par exemple, il serait tout à fait pertinent de considérer un cadre temporel allant de l'apparition de ce facteur de risque jusqu'au décès des patients. Ceci suppose donc qu'on modélise l'impact à long terme de l'hypercholestérolémie comme facteur de risque de cardiopathies ischémiques sur l'état de santé des patients et l'effet des traitements alternatifs sur ces états de santé, tout en mesurant les coûts associés. Il va sans dire qu'une telle construction risque de souffrir d'une certaine fragilité, d'autant qu'il faudrait être capables de prendre en compte les effets secondaires à long terme des traitements ainsi que le degré d'adhésion des patients aux traitements qui peut en modifier l'efficacité. On atteint alors les limites de l'exercice puisque les résultats qu'on peut obtenir sont entachés d'une incertitude qui peut être considérable, ôtant toute valeur à l'évaluation.
Enfin, le choix d'une évaluation inscrite dans le long terme pose inévitablement
la question délicate de l'actualisation. S'il est entendu que les coûts associés à chaque stratégie doivent être actualisés de façon à respecter le principe de la préférence pour le présent, son extension aux résultats de santé soulève des controverses entre spécialistes sans qu'il soit possible de trancher la question (DOLAN 2001). L'actualisation des effets de santé est souhaitable pour tenir compte d'une éventuelle préférence pour le présent, au moins au niveau collectif, et éviter certains résultats paradoxaux (paradoxe de Keeler et Cretin). A l'inverse, on peut douter de la validité de l'actualisation qui revient à faire des arbitrages entre des années de vie immédiates et des années de vie futures, sans prendre en compte le caractère irréversible du décès. Mais l'élément central de la controverse tient à ce
que le choix d'un taux d'actualisation, qu'il soit positif, négatif ou nul, repose inévitablement sur des jugements de valeur. Ainsi, un taux d'actualisation positif conduit à réduire d'autant plus la valeur présente de bénéfices futurs que ceux-ci doivent se manifester à une date lointaine. Ceci conduit à favoriser, toutes choses égales par ailleurs, des stratégies dont les effets seraient immédiats, au détriment de stratégies préventives dont les effets peuvent n'apparaître qu'à long terme. De même, un problème d'équité intergénérationnelle peut apparaître puisqu'on privilégiera alors les stratégies de court terme aux stratégies de long terme qui ne concernent que les générations les plus jeunes. Compte tenu de ces problèmes engendrés par l'actualisation, les recommandations courantes préconisent d'actualiser les coûts et les effets de santé au même taux, en effectuant des estimations avec des taux variant de 0% à 5% de façon à faire apparaître l'impact de l'actualisation sur les résultats (LÉVY, DE POUVOURVILLE 2003). La délicate prise en compte de la qualité de vie
Si les maladies chroniques altèrent durablement la santé des patients, elles
affectent leur vie quotidienne en dégradant généralement leur qualité de vie du fait des incapacités et des handicaps qui en résultent. Dans le cadre d'une évaluation économique de stratégies alternatives de prise en charge, il est donc important d'appréhender les effets différenciés de chacune sur la qualité de vie des patients. Il faudra alors privilégier une approche de type coût-utilité ou coût-bénéfice mieux à même d'intégrer cette dimension aux autres effets des traitements en un indicateur composite.
Or, cette intégration pose un certain nombre de problèmes. On peut noter tout
d'abord que la mesure des incapacités et des handicaps sur le plan médical est déjà malaisée, ce qui peut être problématique pour définir les différents états de santé pertinents pour l'évaluation. De plus, la mesure de la qualité de vie associée à ces états de santé est rendue délicate par les exigences de l'évaluation économique. On sait en effet que les échelles de qualité de vie, qu'elles soient génériques ou spécifiques, sont des instruments de mesure fondée sur une approche psychométrique qui n'a pas la faveur des économistes car sans référence à l'univers des choix de la théorie économique. Si des résultats fondés sur de tels instruments peuvent être utiles lorsqu'on se contente de ne mesurer que cette dimension, c'est-à-dire lorsque l'efficacité est définie exclusivement comme l'amélioration de la qualité de vie, ils ne sont pas pertinents dans le cadre d'une approche coût-utilité. Il faut alors se référer à des méthodes de révélation des préférences permettant d'obtenir des mesures d'utilité au sens de la théorie économique (DRUMMOND, O'BRIEN et al. 1998; DOLAN 2001). Il peut s'agir de la méthode de l'arbitrage temps (time trade-off) ou de la méthode du pari standard (standard gamble) sur la base desquelles plusieurs instruments ont été développés (Health Utility Index, Quality of Well-Being, EuroQol). Leur utilisation ne va pas cependant sans poser de problèmes (LÉVY, DE POUVOURVILLE 2003). Enfin, ces mesures de qualité de vie doivent être agrégées à d'autres données de façon à former un indicateur composite de résultat, en général les QALYs. Or cette notion de QALYs soulève elle-même
bon nombre d'interrogations, notamment sur le plan méthodologique et conceptuel. On sait par exemple que les QALYs sont obtenus en multipliant le score d'utilité par la durée d'un état de santé, d'où une sensibilité au niveau de ces scores qui sont utilisés (LÉVY, DE POUVOURVILLE 2003). La périlleuse intégration des coûts non médicaux
Dans le cas des maladies chroniques, il faut en général inclure les coûts directs
non médicaux et les coûts indirects parmi les coûts à considérer. Rappelons en effet que les coûts directs non médicaux appréhendent les dépenses liées à l'aménagement des logements ou au recours à des services marchands d'aide à domicile, mais aussi l'aide informelle des familles et des proches; les coûts indirects mesurant quant à eux les pertes de production due à la maladie, par absence au travail ou réduction de la productivité. Or, ces coûts non médicaux peuvent s'avérer particulièrement délicats à évaluer.
Ceci est particulièrement vrai pour cette ressource particulière qu'est le temps
puisque deux problèmes complémentaires se posent alors, celui de la mesure du temps ainsi consommé d'une part, celui de la valorisation de cette ressource d'autre part. L'application du principe du coût d'opportunité veut en effet qu'on prenne en compte le temps consacré à la prise en charge des malades par leurs proches ainsi que le temps perdu par les malades eux-mêmes du fait de la maladie. Leur estimation n'est pour autant pas évidente car il est en général difficile de mesurer précisément leur ampleur respective, sauf à engager une étude approfondie du phénomène (BROUWER, RUTTEN et al. 2001). Dans certains cas par exemple, il s'agira d'une productivité réduite par la maladie, et non d'une cessation complète d'activité, dont l'estimation est délicate. De plus, la valorisation de ce temps soulève également un certain nombre de difficultés. On dispose bien de bases théoriques pour cela, principalement l'approche en termes de capital humain selon laquelle il faut se référer aux pertes de production qui découlent de l'absence au travail, dont la valeur est le PIB par tête rapportée à la journée de travail. Cette approche est cependant critiquée pour son manque de réalisme puisqu'elle suppose une économie de plein-emploi dans laquelle aucune compensation entre actifs n'est possible (SCULPHER 2001). Une approche alternative, dite des "friction costs", recommande d'effectuer des études empiriques pour appréhender la façon dont les employeurs s'ajustent aux arrêts maladie, pour ne retenir que le coût d'ajustement ou de friction qui en résulte. Outre le fait que sa mise en œuvre est particulièrement lourde, on peut se demander si cette démarche est valide dans le cas des maladies chroniques puisque les pertes de production peuvent ne pas se manifester par quelques absences de courte durée pour lesquelles des effets de rattrapage peuvent avoir lieu.
Compte tenu de ces difficultés concernant l'évaluation des coûts non médicaux,
il est fréquent, dans le cas des maladies aiguës pour lesquelles ces éléments de coût interviennent, de les délaisser et de focaliser l'attention sur les coûts médicaux, au motif qu'ils sont plus élevés et plus pertinents du point de vue du décideur qui
privilégie l'allocation des ressources sanitaires. Mais dans le cas des maladies chroniques, on ne peut généralement pas les ignorer compte tenu de leur importance.
Au total, la mise en œuvre d'une évaluation économique s'avère donc plus
délicate dans le cas des maladies chroniques car plusieurs difficultés, qui peuvent également exister pour des pathologies aiguës, sont alors cumulées : à la nécessité de se placer dans un horizon temporel de long terme s'ajoute le besoin de prendre en compte dans la mesure des coûts les éléments les moins facilement identifiables, les coûts non médicaux, et d'intégrer dans la mesure des résultats la qualité de vie des patients, dont la nature subjective pose des problèmes d'évaluation. Ces difficultés ne sont cependant pas insurmontables mais peuvent limiter le développement de l'évaluation économique dans le cas des pathologies liées à l'âge. Un aperçu de la littérature sur ce sujet permet d'illustrer ce propos. QUELQUES EXEMPLES D'APPLICATION
On peut envisager plusieurs pathologies chroniques ayant donné lieu à des
études d'évaluation pour mieux appréhender les apports et les limites de cette approche dans ce domaine de la pathologie. Cette présentation étant purement illustrative, le choix des maladies retenues est arbitraire et ne prétend bien sûr pas à l'exhaustivit
L'épilepsie réfractaire
L'épilepsie est la maladie chronique du système nerveux central la plus
fréquente, sa prévalence étant estimée entre 5‰ et 10‰, et son incidence entre 40 et 70 pour 100 000 personnes. Or, 20% à 30% de ceux qui souffrent de crises partielles (environ deux tiers des épilepsies) présentent une épilepsie réfractaire aux différents traitements médicamenteux disponibles. De nombreuses études d'évaluation des stratégies alternatives de traitement ont été publiées au cours des dernières années, dont l'analyse critique fait apparaître quelques unes des difficultés énoncées plus haut (LEVY 2002). Sans entrer dans le détail, on peut souligner que la plupart des évaluations optent pour une approche en termes de minimisation de coûts : partant d'une hypothèse, généralement confirmée par les essais cliniques, que les médicaments anti-épileptiques les plus récents ont la même efficacité clinique (mesurée par la proportion de patients ayant une réduction d'au moins 50% de la fréquence des crises), on se contente d'identifier le produit qui, à efficacité égale, présente les moindres coûts médicaux associés. Or, il est évident que ceci n'est pas satisfaisant, d'une part parce qu'on délaisse les coûts indirects, d'autre part et surtout parce que l'indicateur d'efficacité clinique retenu, pour important qu'il soit, est trop fruste pour rendre compte de la réalité du problème de la gestion des crises par les patients. Les répercussions des crises sur
3 De nombreuses références mériteraient d'être citées ici. On renverra le lecteur intéressé à la base bibliographique CODECS pour l'ensemble des articles d'évaluation médico-économique sur la France, ou à (SAILLY, LEBRUN 1999)pour 6 pathologies chroniques.
la qualité de vie des patients dépend de nombreux facteurs (type de crise, durée, fréquence, moment de survenance, périodicité) qui sont alors délaissés.
Les rares études coût-utilité publiées mettent cependant en évidence la difficulté
à mettre correctement en œuvre cette approche dans le cas de l'épilepsie. Une première étude a ainsi tenté d'évaluer les apports de la lamotrigine en estimant le coût par QALY de ce produit en stratégie adjuvante (MESSORI 1998; LEVY 1999). Mais voulant dériver un tel résultat sur la vie entière des patients pour tenir compte du caractère chronique de cette maladie, les auteurs se sont contentés d'extrapoler sur cet horizon de vie les résultats d'un essai clinique à 6 mois en supposant qu'ils pouvaient se maintenir indéfiniment, aboutissant de plus à un coût de 41 300$ par QALY gagné qui se situe à la limite des valeurs normalement admises. Dans un article plus récent étudiant l'efficience du levetiracetam comme produit adjuvant, les auteurs estiment que le meilleur indicateur de qualité de vie est le fait d'être libéré de toute crise et définissent donc comme ratio significatif le coût par patient sans crise, dont la spécificité interdit toute comparaison avec d'autres stratégies (LE LORIER, GODFROID et al. 2004). Ne disposant de données pour estimer un tel ratio que sur un an, les auteurs restreignent l'évaluation à ce cadre temporel pour ne pas avoir à effectuer d'extrapolation qui fragiliserait la démonstration. Cependant, il existe une stratégie alternative, chirurgicale, que le panel d'experts consultés a jugée indispensable d'incorporer dans la comparaison. Le problème est que les auteurs ont bien inclus les coûts de cette stratégie chirurgicale mais pas ses bénéfices qui se prolongent sur tout l'horizon de vie des patients lorsqu'ils sont guéris, au motif que la comparaison n'est faite que sur un an. Ceci introduit un biais systématique au détriment de la chirurgie dont les coûts initiaux très élevés sont à rapporter à une efficacité sur la vie entière des patients. Ainsi, en comparaison du traitement médicamenteux standard, l'ajout du levetiracetam engendre, dans le cadre britannique, un surcoût de 5 300 £ par patient sans crise pendant un an; par contre la comparaison avec la chirurgie rend la stratégie médicale dominante, donc moins coûteuse et plus efficace. On comprend cependant la difficulté des auteurs à étendre à long terme l'évaluation comparative qui nécessiterait un travail de modélisation complexe et fragile sur le devenir des épilepsies réfractaires. Le traitement de l'ostéoporose
L'ostéoporose est une maladie chronique liée à l'âge génératrice d'une morbidité
et d'une mortalité importante par les fractures qu'elle cause. A ce titre, elle est génératrice de coûts importants pour le système sanitaire, non seulement chez la femme mais aussi chez l'homme (LÉVY, LÉVY 2002).
Un récent article a proposé une évaluation économique du traitement de
l'ostéoporose féminine par alendronate en prévention des fractures ostéoporotiques (hanche, poignet, vertèbre) dans le cadre suédois (JOHNELL, JONSSON et al. 2003). Utilisant les résultats d'efficacité d'un essai clinique US sur trois ans (réduction du risque relatif), les auteurs ont mis au point un modèle de Markov simulant le devenir, jusqu'à 100 ans ou le décès, de patientes ostéopéniques âgées de 71 ans,
ayant déjà eu une fracture vertébrale, qui peuvent consécutivement être dans plusieurs états de santé : bonne santé, fracture de la hanche, fracture du poignet, fracture vertébrale, décès (état irréversible!). Le devenir des patientes est différent selon qu'elles reçoivent ou non le traitement durant 5 ans, celui-ci réduisant le risque de fracture ostéoporotique dont l'incidence, selon le site fracturaire, est tirée d'une étude observationnelle suédoise, en même temps qu'il réduit les coûts médicaux par les fractures évitées et la surmortalité associée. L'intérêt de cette étude est de proposer plusieurs types d'évaluation sur la base de ce modèle, en rapportant les coûts directs à plusieurs indicateurs de résultat alternatifs :
- le surcoût par fracture de la hanche évitée est de 14 100 $
- le surcoût par année de vie sauvée est de 8 945 $
- le surcoût par QALY gagné est de 8 065 $
Globalement, ces résultats sont favorables mais font apparaître leur sensibilité relative selon l'indicateur de résultat retenu, les fractures évitées ne rendant pas compte de tous les bénéfices d'un traitement préventif qui permet aussi de réduire la mortalité associée aux fractures et la dégradation de la qualité de vie qui en résulte. Pour autant, il faut bien dire qu'il ne s'agit là que d'une estimation fondée sur des données hétérogènes (épidémiologie suédoise, efficacité américaine, qualité de vie selon dires d'experts) qui ne permet d'obtenir qu'un ordre de grandeur, utile néanmoins pour éclairer des décisions sanitaires. La prise en charge des accidents vasculaires cérébraux
Les maladies cardiovasculaires constituent, en France, la première cause de
mortalité chez les femmes et la seconde chez les hommes, et engendrent des coûts très importants pour le système de santé (LE PEN, LÉVY 1995). On dénombre en particulier 120 000 à 150 000 accidents vasculaires cérébraux (AVC) chaque année en France, avec une mortalité à 6 mois de 30% à 45% et une survie marquée par des atteintes physiques de degré variable. S'appuyant sur des expériences internationales, un groupe d'auteurs a développé un modèle de Markov visant à évaluer, sur un horizon de 5 ans, le bien-fondé du développement en France d'unités neuro-vasculaires intégrées de prise en charge de patients après un AVC (LAUNOIS, GIROUD et al. 2004). L'étude compare la prise en charge traditionnelle des patients à cette stratégie innovante qui montrerait, selon une méta-analyse, l'amélioration du niveau d'invalidité mesuré par l'indice de Barthel. Par ailleurs, les données de mortalité post-AVC sont de base française à court terme mais britannique à long terme, tandis que les coûts sont estimés dans le cadre français.
Sur la base d'une modélisation complexe qui prend en compte les différents
états cliniques possibles, les filières de soins (SSR, EHPA, domicile) et les niveaux de handicap selon la stratégie adoptée, les auteurs calculent le surcoût par année de vie sans invalidité sauvée par les unités de soins intégrées. Avec un gain moyen de près de 2,7 trimestres sans incapacité pour un coût supplémentaire de 3655 €, les résultats sont très favorables à 1359 € par année de vie sauvée sans incapacité.
L'intérêt de cette étude est de montrer la possibilité d'évaluer des stratégies
globales de prise en charge de patients atteints de maladies chroniques, plutôt que des traitements stricto sensu. Mais elle révèle en même temps la nécessité de poser de nombreuses hypothèses nécessaires pour développer une telle modélisation en l'absence des multiples données nécessaires et qui font particulièrement défaut en France (notamment ici sur le devenir clinique des patients français après un AVC).
Les traitements de la maladie d'Alzheimer
Selon les derniers résultats (janvier 2004) de la cohorte PAQUID, il existerait
en France plus de 608 000 personnes de plus de 75 ans atteintes par la maladie d'Alzheimer dans notre pays, et plus de 100 000 nouveaux cas chaque année, faisant de cette affection un problème majeur de santé publique. Pour autant, et contrairement aux AVC, il n'existe pas, à ma connaissance, d'évaluation complètes portant sur des modalités alternatives de prise en charge de patients souffrant de la maladie d'Alzheimer, mais uniquement sur des traitements médicamenteux alternatifs (MARISSAL, LAURENT 1999). Néanmoins, deux études nord-américaines réalisées au cours des années 1990 ont évalué les coûts respectifs de cette maladie selon son mode de prise en charge, en intégrant le coût d'opportunité du temps passé par les aidants informels (RICE, FOX et al. 1993; ERNST, HAY et al. 1997). Il en ressort que le coût total annuel est sensiblement le même pour les patients vivant à domicile ou en institution (autour de 47 000 $ de 1990 dans la première étude, de 33 000 $ à 38 000 $ de 1995 dans le seconde). Par contre, la structure des coûts est notablement différente selon le mode de prise en charge, la part des coûts indirects (incluant l'aide informelle) passe de 21,6% à 73,3% dans l'étude de Rice, et de 21,1% à 83,0% dans l'étude de Ernst, ce qui permet de mettre en lumière l'enjeu financier des modalités de prise en charge.
S'agissant des traitements médicamenteux, trois produits indiqués pour les
formes légères à modérément sévères (donépézil, rivastigmine, tacrine) ont fait l'objet d'évaluations sur la durée de vie des patients ou sur longue période. Il en ressort généralement que le surcoût du traitement médicamenteux est compensé par un moindre recours à la mise en institution (MARISSAL, LAURENT 1999). Mais il s'agit là aussi d'extrapolations de résultats d'essais cliniques à court terme, fondées sur des hypothèses concernant l'impact des traitements sur la mise en institution à travers leurs effets sur les fonctions cognitives du patient, alors que ce point fait l'objet de débats. Pour autant, ces études montrent l'effet de report sur la famille et les systèmes d'aide sociale du fardeau de la maladie du fait de ces médicaments innovants.
Ce dernier point est cependant remis en cause par les quelques études
d'évaluation faites sur la memantine, indiquée dans les formes modérées à sévères de la maladie(WIMO, WINBLAD et al. 2003; JONES, MCCRONE et al. 2004; PLOSKER, LYSENG-WILLIAMSON 2005). Si ce produit permet de prolonger l'autonomie des patients et de retarder leur institutionnalisation (dans le cadre US) par rapport à un placebo (en l'absence de comparateur actif), ce surcroît d'efficacité se double d'une
réduction des coûts non médicaux, qu'il s'agisse des coûts directs (aide à domicile, transport, service de repas à domicile) ou des coûts indirects supportés par les aidants informels (prise en charge des patients, heures de travail perdues) (WIMO, WINBLAD et al. 2003). Dès lors, les évaluations coût-efficacité faites dans le cadre britannique ou finlandais concluent à une stratégie dominante, tant du point de vue du tiers payeur (NHS) que du point de vue sociétal. Mais une fois de plus, ces résultats sont des extrapolations à 2 ans ou 5 ans de résultats d'un essai clinique mené sur 28 semaines (PLOSKER, LYSENG-WILLIAMSON 2005). CONCLUSION
L'évaluation économique des stratégies thérapeutiques dispose d'outils
suffisamment adaptables pour être pertinents dans le cas des maladies chroniques. Cependant, leur mise en œuvre peut s'avérer particulièrement problématique par le cumul des difficultés rencontrées : nécessité d'un cadre temporel de long terme, prise en compte de la qualité de vie, intégration des coûts non médicaux. Il en résulte que les résultats qu'on peut en obtenir doivent être interprétés avec précaution car fondés sur un jeu d'hypothèses toujours discutables. Un échantillon de la littérature sur différentes maladies chroniques montre à la fois les apports et les limites de cette démarche économique qui peut néanmoins prétendre éclairer les prises de décision dans le domaine des maladies chroniques. BIBLIOGRAPHIE
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