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Actes du colloque Utopia Instrumentalis : fac-similés au musée – Musée de la musique, Paris, 27/11/2010 Face au factice : rejet ou prolifération ?
Pierre Laszlo, École polytechnique et Université de Liège
Les chimistes sont familiers de la problématique de l’authentique et de sa contrefaçon, de la substance naturelle et de son double synthétique. La chimiophobie du public inclut sa méfiance à l’encontre de l’artificiel, perçu comme simulacre à haut risque. Les trois dernières décennies ont exaspéré le dualisme de la plupart, préoccupés d’écologie mais consommateurs boulimiques d’objets manufacturés, c’est-à-dire de dérivés de la pétrochimie : « chassez l’artificiel, il revient au galop » a-t-on envie de s’écrier. Elles ont aussi élargi la notion de patrimoine à tel point qu’elle perd son sens. Le respect de l’objet authentique, auquel s’attache une valeur magique, fait de nous tous d’inlassables butineurs d’expositions et de collections muséales. Cet exposé aborde les notions de factualité scientifique, d’artefact et de factice, y compris modélisations et simulations numériques. Mon métier de chimiste m’a familiarisé avec les notions abordées dans ce colloque.
Préciser les distinctions entre des mots et des concepts aux sens voisins m’incombe,
tout comme aux autres participants.
La chimie est biface, à la fois science et industrie. Pour les chimistes, le faire importe
autant que le comprendre. Nous fabriquons de l’artificiel et nous nous efforçons de
mieux comprendre le naturel. Quand bien même, aux yeux du public, nous serions
de redoutables apprentis-sorciers par notre production d’artifices en tous genres, les
deux activités restent pour nous d’égale importance et complémentaires.
La première nous fit créer la chimiosphère dans laquelle nous nous trouvons tous
désormais. C’est un monde d’objets faits de toutes pièces que nous avons très
largement substitués aux choses naturelles. Donnons deux exemples : nous sucrons
notre café avec des édulcorants de synthèse, conçus pour diminuer l’apport
calorique par rapport à celui d’un sucre. Les fibres synthétiques sont un second
exemple. Le nylon et d’autres polyamides, très nombreux, sont des soies
artificielles ; le polypropylène sert à faire des tissus en polaire, comme on dit, pour
des vêtements aussi chauds que des fourrures ; les acryliques, d’une troisième
famille de polymères, sont souvent associés à de la laine en des tricots.

Je partirai donc de cette opposition posée communément entre l’artificiel et le
naturel, entre les productions de l’art - l’industrie chimique, en l’occurrence - et celles
de la nature. Comment les chimistes vivent-ils cette dualité en leurs laboratoires ?
Le terme même de « laboratoire » fournit la réponse. L’entrée d’un phénomène
naturel en laboratoire le simplifie : voilà la clé. Le laboratoire fut conçu par les
alchimistes - on crédite Roger Bacon de son invention au XIIIe siècle - comme un
microcosme dans lequel conduire leurs opérations ; c’est-à-dire les effectuer tout en
contrôlant les divers paramètres. Le laboratoire fut le lieu d’élaboration de modes
opératoires reproductibles, que leur transmission eût lieu par voie orale ou écrite.
Ainsi, travailler en laboratoire permit, et continue d’autoriser l’étude de phénomènes,
naturels certes, mais étroitement circonscrits. Un chimiste, face à la dualité du
naturel et de l’artificiel, la voit sous un angle très différent de celui communément
admis, nous dirons, par facilité, celui du consommateur. Pour un chimiste, la nature
est le site de la complexité, d’une complexité le plus souvent inabordable tant elle est
touffue. L’étude en laboratoire permet de mettre cette complexité pour ainsi dire
entre parenthèses. L’opposition du naturel et de l’artificiel, dans le faire, recouvre
donc un autre dualisme, celui du simple et du complexe dans le comprendre.
Actes du colloque Utopia Instrumentalis : fac-similés au musée – Musée de la musique, Paris, 27/11/2010
Si les chercheurs scientifiques travaillent en laboratoire afin de se distancer d’une
nature décidément bien trop compliquée, les chimistes font un autre grand écart.
Leurs manipulations de laboratoire renvoient, pour leur interprétation, à un tout autre
monde, celui des molécules. Ce second grand écart est celui qui sépare les deux
échelles, celle du mètre et celle du nanomètre, un facteur d’un milliard, neuf
puissances de dix.
Pour réduire cet écart et rapprocher les deux échelles, les chimistes construisent
donc des modèles moléculaires, qui font partie de leur attirail, tant dans la réalité que
dans l’imaginaire collectif. Les modèles moléculaires, à l’opposé du modèle réduit,
sont des modèles agrandis et manipulables. Ils servent de passerelle, du monde
nanoscopique au monde macroscopique.
Ces modèles des chimistes, qu’ils soient des objets qu’on peut tenir en main et donc
des outils, ou seulement des images sur l’écran d’un ordinateur, font aussi partie de
la classe des modèles conceptuels. Il s’agit là d’une catégorie épistémique, celle des
« systèmes physiques, mathématiques ou logiques représentant les structures
essentielles d'une réalité et capables à leur niveau d'en expliquer ou d'en reproduire
dynamiquement le fonctionnement », pour reprendre une citation du Trésor de la
langue française
, relative à cette acception du mot « modèle ». Alors que les autres
acceptions de « modèle », en français, datent du seizième ou du dix-septième siècle,
celle-ci est d’introduction plus récente, vers le milieu du vingtième siècle seulement.
Le modèle du scientifique est une fiction. C’est un être imaginaire, une
représentation à mi-chemin de l’observation et de la théorie. Il est fonctionnel, le
chercheur l’exploite à produire des résultats, des données numériques le plus
souvent, à comparer aux résultats d’une expérience.
Ce qui m’amène à évoquer une notion proche, celle de simulation.

Cette acception du mot « simulation », tout comme celle du mot « modèle » date elle
aussi de la seconde moitié du vingtième siècle. Le Trésor de la langue française la
définit comme, je cite, « reproduction artificielle du fonctionnement d'un appareil,
d'une machine, d'un système, d'un phénomène, à l'aide d'une maquette ou d'un
programme informatique, à des fins d'étude, de démonstration ou d'explication ».
Nous y retrouvons l’artifice et l’artificiel. Dans le dualisme faire-comprendre, la
simulation est un outil d’intellection, de progression dans la conceptualisation.
Durant une période relativement brève, les simulations furent analogiques ou
numériques. À présent, la plupart sont numériques. Les modèles des économistes
sont, le plus souvent, de telles simulations numériques. On ne connaît que trop leurs
limitations ! Toute simulation occupe une position, dans l’espace conceptuel, entre le
modèle et la copie.
J’en viens donc à une autre paire de termes, l’original et la copie. Notre réunion
d’aujourd’hui les met au centre de la réflexion. Ces termes n’interviennent pas, ou
très peu, en chimie. Mais nous nous servons d’autres mots pour dire les mêmes
choses. Ce glissement terminologique a peut-être son importance, et nous y
reviendrons.
Ce qui occupe, chez nous, la position de l’objet original est la substance naturelle. Le
mot « nature » vient donc remplacer le mot « origine ». L’activité de copie, qui chez
nous est en fait assez éloignée de la copie proprement dite, est la synthèse totale.
Elle vise la reproduction à l’identique d’une substance naturelle élue comme cible. Le
résultat est dénommé « produit de la synthèse ».
Actes du colloque Utopia Instrumentalis : fac-similés au musée – Musée de la musique, Paris, 27/11/2010 Nous devons nous assurer du succès de cette succession de transformations
aboutissant à une molécule-cible. Elle se chiffre en dizaines d’années-chercheurs.
Les deux molécules, celle de la substance naturelle et de sa jumelle résultant de la
synthèse, doivent avoir des caractéristiques spectrales identiques. Mais surtout, et
c’est un critère tenu pour absolu, il doit n’y avoir aucun abaissement de la
température de fusion, lorsqu’on mélange des cristaux de la substance naturelle et
de son double synthétique.
Pourquoi les chimistes ne disent-ils pas « copie » comme tout le monde ? Parce
qu’ils placent l’originalité sur un piédestal. Pour eux, synthétiser une molécule n’est
pas une vulgaire activité de copiste. C’est une démarche créatrice, profondément
originale. D’ailleurs, il est 1001 manières de synthétiser une molécule quelconque.
Le choix de la voie de synthèse, et des moyens de la réaliser, font l’attrait esthétique
de ladite synthèse.
Revenons à la distinction du faire et du comprendre. La synthèse totale équivaut,
pour une substance, à l’identification opératoire de l’artificiel au naturel. Le factice
vient coïncider avec l’authentique, en un mouvement et un moment prométhéens.
Ce qui est à la fois démiurgique et utilitaire. Ainsi du médicament : bon nombre de
représentants de la pharmacopée naissent de l’observation des propriétés
thérapeutiques de telle ou telle substance naturelle, dont la copie par synthèse totale
permet de s’assurer un approvisionnement sûr : détaché des aléas climatiques, de
l’insécurité éventuelle dans la région, d’éventuelles impuretés chimiques lors de son
isolement. Mais surtout, la synthèse d’une substance naturelle biologiquement active
ouvre la voie à l’obtention de très nombreuses variantes. Ce sont ces dernières qui
fourniront un médicament utilisable, car mieux toléré, dénué d’effets secondaires
indésirables, voire plus actif que la substance naturelle. L’aspirine fut, historiquement
parlant, le premier exemple de telles modifications d’une substance naturelle. D’un
point de vue utilitaire, l’artificiel surpasse de la sorte le naturel.
Peut-on parler à cet égard d’un simulacre? Absolument pas. Avec le médicament,
issu de la synthèse organique, nous sommes bien dans le réel et pas dans l’illusion.
Ce qui m’amène à évoquer la réplique et par ce biais à retrouver la musique. Ce
terme s’introduisit dans la langue française au tout début du dix-huitième siècle.
C’est un terme technique : « Dans un intervalle, répétition d'une des notes de cet
intervalle à une autre octave ». Pour citer l’ouvrage de Gevaert sur L’histoire et
théorie de la musique de l’Antiquité
qui date de 1875, « Le retard du son fondamental
n'affecte pas ordinairement la fondamentale au grave, mais sa réplique, son octave
aiguë ». Telle est l’origine du mot « réplique » servant à désigner, fréquemment pour
une œuvre d’art, sa copie, son double, son imitation, son pendant, sa reproduction.
Si la réplique est comme un écho, une image dans un autre registre, le produit de la
synthèse chimique est réplique artificielle de la substance naturelle.

L’art du chimiste de synthèse ne se borne pas à récréer une substance naturelle. Il
peut aussi en donner des variantes, en grand nombre. Les laboratoires
pharmaceutiques mettent à profit ce talent, cela permet à certains de copier des
médicaments en vogue - les blockbusters comme on les appelle en anglais - et de
contourner les brevets censés les protéger. Pour vous en donner un exemple, la
molécule de sildenafil se dénomme Viagra (de la société Pfizer) comme médicament;
le Cialis, commercialisé par une firme rivale (Lilly), pour la même indication, le
dysfonctionnement érectile, est une molécule certes de structure non apparentée,
dénommée tadalafil, mais au mode d’action identique, l’inhibition de l’enzyme
phosphodiestérase de type 5.
Actes du colloque Utopia Instrumentalis : fac-similés au musée – Musée de la musique, Paris, 27/11/2010 L’habileté des chimistes à élaborer des répliques, des copies, des contrefaçons d’une molécule-cible, fut détournée de longue date vers des applications criminelles, qu’il s’agisse de fabriquer diverses drogues illégales ou des substances dopantes, dans des laboratoires clandestins. Je n’aurai garde d’omettre la version anodine, parfaitement légale et officielle, de ce talent d’imitateurs. Elle a cours, dans des laboratoires universitaires. Elle reçoit de ses détracteurs le terme, péjoratif, de me-too chemistry, une recherche d’imitation et non de création. Une anecdote vous fera sentir à quel point l’imitation est dans le sang des chimistes. Un illustre chimiste allemand vînt un jour donner un séminaire dans mon laboratoire. Nous le logions à la maison. Lors d’une promenade, il s’ouvrit à moi, et me confia quel fut son hobby, lorsqu’il était jeune adulte : la contrefaçon de timbres postaux. Il les faisait passer en les collant sur des enveloppes flanqués de timbres authentiques. Il ne s’est jamais fait prendre! Le Musée des Beaux-arts de Philadelphie a dans sa collection une série de neuf aquarelles de Cézanne. Il en existe 600, attribuées à l’artiste d’Aix-en-Provence ; il les peignit entre 1875 et 1806, la dernière année de son existence. Dans ses aquarelles, Cézanne mettait des tâches de couleur, puis attendait qu’elles sèchent, ce qui les rendait transparentes. Fréquemment, il revenait à plusieurs reprises sur le même paysage ou la même nature morte. Ce sont, hélas, des œuvres d’une grande fragilité : les mettre, pis les laisser à la lumière les décolore. Ainsi, les neuf aquarelles conservées à Philadelphie ont totalement perdu leur vert émeraude, des réactions chimiques avec des sulfures atmosphériques l’ont converti en un brun pâle, d’aspect sale. On peut se poser plusieurs questions à propos de ces originaux. En quoi sont-ils des originaux, puisqu’ils ont perdu toute leur fraîcheur d’origine ? Quel est l’intérêt de les préserver dans les tiroirs d’un musée, pour ne jamais les exhiber ? Ne vaudrait-il pas mieux, en dépit de ce que le concept de reconstitution fut durablement compromis par Viollet-le-Duc, user des technologies dont nous disposons pour élaborer des répliques de ces aquarelles telles que leur créateur les conçut et les vit ? Cette problématique rejoint celle des instruments de musique d’époque. Nikolaus Harnoncourt fut un pionnier à y avoir recours, pour accompagner des cantates de Bach, entre autres. Le pianiste et musicologue Paul Badura-Skoda s’est fait une spécialité, similaire, il joue des œuvres de Mozart ou de Schubert sur des pianos contemporains de leur écriture, au volume certes moindre que celui d’instruments modernes, mais aux sonorités devenues pour nous inouïes. Ces reconstitutions musicales nous permettant d’imaginer l’impression qu’elles donnèrent à leurs premiers auditeurs. Ce bref parcours du lexique, de l’espace conceptuel des chimistes aussi vous aura sans doute paru familier. Il atteste l’unité de la culture. Les créateurs, quels qu’ils soient parlent un même langage. En particulier, leur art les rend capables de s’inscrire en faux contre la phrase de l’Évangile (Luc 5, 36-39) : « on ne met pas le vin nouveau dans de vieilles outres ».

Source: http://www.citedelamusique.fr/pdf/insti/recherche/utopia/5_laszlo.pdf

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